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Mon rendez-vous avec Immortelle.



Je me réveillai un matin, avec le vif souvenir d’un rêve où une plante nommée Immortelle m’appelait à venir la visiter dans le jardin de ma grand-mère. L’appel semblait important, il me fallait y aller me dis-je en me réveillant. Cependant les détails pratiques d’une telle visite me semblaient trop lourds. Conduire pendant plus d’une heure en pleine semaine pour me rendre chez grand-mère, alors que beaucoup de travail m’attendait, me semblait loin d’être raisonnable. Mon raisonnement prenant le dessus sur mon ressenti, je décidais d’oublier ce rêve et d’aller voir Immortelle la prochaine fois que je visiterai ma grand-mère dans un lointain futur.


Alors que je prenais ma douche avant de m’habiller, mes yeux se fermèrent un instant pour profiter du jet d’eau sur mon visage. Je fus alors aspirée dans la vision d’une plante aux petites fleurs jaunes, qui me dirent : « Viens Serena, viens aujourd’hui nous visiter c’est important. » J’ouvris les yeux et changeai la température de l’eau, jusqu’à ce qu’elle soit glacée afin de me réveiller. Je devais être encore à moitié endormie pour voir et entendre une plante me parler sous la douche !


Je m’habillai avec empressement, me dirigeai vers la cuisine, pris ma tasse jaune pour y verser le thé aux plantes du jardin de grand-mère, celui qu’elle m’avait offert pour Noël. Alors que je dirigeai la tasse vers ma bouche, une fleur jaune s’échappa du sachet à thé et se plaça au centre du liquide de ma tasse. Une immortelle. Elle me dit : « Serena, depuis quand as-tu tant grandi pour perdre désormais les sens de l’aventure et des mystères ? Lorsque tu étais petite, tu te cachais dans les branchages, et découvrais chaque millimètre de vie du jardin de ta grand-mère. Il est temps de retrouver ce goût là et de venir nous retrouver. Tu n’as plus une minute à perdre, c’est très urgent. »


À ces mots quelque chose en moi fût profondément touché, peut-être était-ce cet enfant que j’avais été auquel la fleur faisait référence, cette petite fille aventurière toujours fourrée dans le jardin de sa grand-mère. Je ne saurai dire ce qui changea précisément à ce moment-là, mais je décidai d’aller voir ma grand-mère sur le champ. J’envoyai un rapide email à mon travail pour leur annoncer que je ne serai pas disponible aujourd’hui car je devais rejoindre en urgence ma grand-mère. Je mis alors mon manteau et pris ma voiture en direction de la maison à la campagne de grand-mère.


À mesure que j’avançai sur la route, je vis les bois qui avaient animé mon enfance, les routes de campagne où j’avais roulé à vélo et les maisons de mes amies et amis d’enfance. Un sentiment de paix s’invitait plus profondément en moi et je me surpris à sourire ; je mis alors de la musique et fredonnai des chansons. La distance qui m’avait paru infranchissable, tant de fois trop loin pour m’y rendre fut plus vite parcouru que je ne l’avais espéré, ,tellement le bonheur d’être ici se faisait ressentir. La maison de grand-mère était une grande maison en pierres blanches aux volets verts et aux contours de fenêtre jaune moutarde. Je sonnai à la porte, un carillon résonna dans la maison et j’entendis des pas au loin se déplaçant avec lenteur vers la porte. // La poignée de l’entrée tourna et une petite femme fragilisée par l’âge, mais bien vivante par le cœur, m’ouvrit sa porte. Je ne pus m’empêcher de me jeter dans ses bras.

— « Grand-mère, je suis tellement heureuse de te voir. »

— « Ma Serena, moi aussi, je suis heureuse que tu sois là, merci d’avoir écouté les Immortelles, c’était important, elles t’attendent dans le jardin, ne les fais pas patienter davantage. Je t’attendrai dans le salon. »


Elle savait pour les Immortelles, j’eus envie de lui demander comment elle était au courant mais elle se dirigeait déjà vers le salon, sa façon à elle de me dire que la discussion était close. Je partis alors vers le jardin. Quel ravissement de le retrouver avec le petit étang, ses arbres, ses plantes qui poussaient avec force et harmonie, un petit coin de paradis. Je repérai sans difficulté le bosquet jaune des Immortelles. Je m’approchai à grands pas, m’accroupis à leur hauteur et leur demandai :

— « Je suis là maintenant, que vouliez-vous me dire ? »

— « Touche-nous », me répondirent-elles dans un murmure.


J’avançai avec délicatesse mes doigts vers leurs délicates fleurs et fus immédiatement transporté dans un voyage au centre de la terre. Là je vis que leurs racines s’entremêlaient les unes aux autres, mais aussi à celles des autres plantes, de mes racines, celles des animaux et aussi de la maison… Sous terre, dans l’invisible, tout était relié, tout vivait en connexion les uns aux autres, un fluide bleu, une forme d’électricité liquide circulait des uns aux autres. « Il est temps d’ouvrir tes racines Serena. », me dirent les Immortelles.


Je regardai vers mes racines et découvris avec étonnement que si les ramifications existaient, le liquide électrique bleu n’y circulait pas. Je décidai comme elles me l’avaient suggéré d’ouvrir mes racines aux autres et soudain le liquide électrique me traversa, humidifiant avec une intense joie l’intérieur de mon être. Je vis d’autres racines s’élever vers le firmament et je fus comme un arbre avec ses racines plantées dans le sol et ses branches vers le ciel. Je découvrais que tout comme moi, tous les êtres, plantes, bâtiments autour de moi avaient aussi des ramifications dans les deux directions. Alors que mes branchages s’étendaient vers le ciel, j’entrai en connexion avec des êtres chers qui étaient décédés: mon grand-père Eliot, mon chien Turbo et bien d’autres. Ils me souriaient. Mon grand-père Eliot s’approcha de moi avec un sourire et me dit alors : « On ne t’a jamais quitté mais quelle joie que tu puisses aussi enfin nous voir ! Ma Serena, rien ne meurt, rien de nait, tout se transforme, la vie est un cercle et non une longue ligne comme on tend à l’imaginer. Maintenant que tu sais où nous trouver, la mission de Séréne est enfin terminée et elle va pouvoir venir me retrouver. »


À ces mots, j’ouvris brusquement les yeux, j’étais allongée dans le jardin près des Immortelles, rien n’avait en apparence changé mais tout en moi l’était, je me sentais reliée. Je me mis rapidement sur mes pieds et courus jusqu’au salon. Depuis son fauteuil, ma grand-mère, un sourire tendre aux lèvres, me fit signe d’approcher. Je m’accroupis auprès d’elle. Je mis une main sur sa joue, elle posa une des siennes sur mon visage :

— « Ma Serena, merci d’être venue aujourd’hui, maintenant que tu sais, je peux partir retrouver Eliot en paix. La maison et son jardin sont à toi. Je t’aime. »

— « Je t’aime aussi grand-mère, pars en paix, je sais où te trouver. »


Son dernier soupir pénétra l’espace, je fermai les yeux, vis à nouveau les entre-branchements électriques bleus et en escaladant les branchages les plus hauts de mon arbre, j’aperçus alors le corps physique de grand-mère qui s’élèvait pour retrouver son Eliot. Les branchages du corps de grand-mère se dissolvèrent petit à petit pour se fondre en un branchage plus large et la relier à tous et tout. Elle était devenue une Immortelle à son tour.



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